dimanche 5 décembre 2010

Réflexions de Julien Gracq


"Les marques de l’ancien lien de sujétion entre colonisateurs et colonisés, protecteurs et protégés, restent indélébiles des deux côtés. "Libre" et "libéré" ne sont pas synonymes ; ce n’est que quand la liberté a effacé derrière elle, avec le temps, sa genèse et son histoire qu’elle est vraiment libre, libre comme l’air, comme l’air qu’on respire sans y penser. Bienheureuse inconscience à laquelle seuls quelques pays anglo-saxons ou nordiques semblent avoir vraiment accédé ! Tout le reste de la planète, dans cette stase post-coloniale que nous vivons, relève — anciens maîtres comme anciens sujets — de refoulement ténébreux, d’une psychanalyse des foules qui n’a pas encore été inventée. Le libéré sent qu’il devrait être libre plus quelque chose, qui viendrait le payer de son arriéré de servitude ; le libérateur, qui se sent pousser après coup une fibre paternelle, regarde amèrement lui tourner le dos un fils prodigue qui ne reviendra pas. ..."
http://www.jose-corti.fr/sommaires/gracq-inedits.html