dimanche 26 décembre 2010

Philippe Gerrienne - Les plantes anciennes


Les plantes les plus anciennes
La systématique moderne sépare nettement les algues, vivant en mer pour la plupart, des plantes qui, dans l’ensemble, sont terrestres. Les premières constituent un vaste fourre-tout polyphylétique, c’est-à-dire groupant des espèces d’origines évolutives diverses. Les plantes, au contraire, sont évolutivement homogènes, ou monophylétiques : on les appelle Embryophytes car elles se distinguent toutes par la présence d’un embryon. On regroupe néanmoins les algues vertes et les Embryophytes au sein des Chlorobiontes (Lecointre et Le Guyader, 2006), seuls organismes possédant à la fois les chlorophylles a et b, l’un des acquis évolutifs communs à l’ensemble du groupe. Les Embryophytes sont aussi caractérisées par la présence de sporanges, sacs pluricellulaires libérant des spores ; les sporanges femelles sont appelés archégones et les mâles anthéridies. Par la suite, nous emploierons le terme « plantes » pour désigner les Embryophytes, ou encore « plantes terrestres », en référence à leur milieu de vie.
Le cycle de reproduction des plantes fait alterner deux organismes distincts. L’un, appelé gamétophyte parce qu’il produit des gamètes, est qualifié d’haploïde, car chacun de ses chromosomes est en un seul exemplaire. L’autre, appelé sporophyte parce qu’il disperse des spores, est qualifié de diploïde, chacun de ses chromosomes étant en deux exemplaires. Les mousses sont des gamétophytes et les plantes vasculaires des sporophytes. Quant aux sporophytes des mousses et aux gamétophytes des plantes vasculaires, ce sont des organismes discrets, fragiles et difficiles à repérer.
Les plus anciennes traces des plantes sont leurs spores, cellules produites en grand nombre dans les sporanges. Les mousses et les fougères dispersent leurs spores en grande quantité ; elles germent et donnent naissance aux gamétophytes. Une paroi très solide, l’exine, constituée d’un mélange de macromolécules extraordinairement résistantes que l’on appelle la sporopollénine, rend les spores résistantes à la dessiccation et aux agressions de l’atmosphère et du soleil. La présence de la sporopollénine explique que les spores se conservent en grand nombre dans les sédiments.
Les spores les plus anciennes — et non controversées! — proviennent d’Arabie Saoudite et remontent à l’Ordovicien moyen, soit –475 Ma (Stroher et al., 1996). Les plus anciens fragments de sporanges contenant des spores in situ ont été récoltés dans des sédiments de la fin de l'Ordovicien, soit –450 Ma (Wellman et al., 2003). Ils montrent des affinités avec les sporanges de mousses.
La plus ancienne plante possédant des axes, ou tiges, est Cooksonia (Edwards et Feehan, 1980), une minuscule plante sans feuilles, avec des tiges divisées par dichotomies, le résultat étant des axes équivalents dont la partie terminale s’évase en un sporange en forme de coupe. Cooksonia a vécu du Silurien moyen, —425 Ma, au Dévonien inférieur, environ –400 Ma. En raison de la découverte de cellules conductrices dans un Cooksonia du Dévonien inférieur (Edwards et al., 1992), cette plante a été considérée comme l’archétype des plantes dites « vasculaires », chez lesquelles les cellules conductrices, trachéides ou vaisseaux, se généralisent. Plus archaïques, les trachéides ont des parois transversales qui freinent la conduction et elles communiquent entre elles par des orifices latéraux appelés ponctuations ; Plus évolués, les vaisseaux n’ont pas de parois transversales et la conduction y est beaucoup plus rapide.
Le genre Cooksonia, probablement polyphylétique, comporte de nombreuses espèces, parmi lesquelles C. caledonica (Edwards, 1970). Ses sporanges en forme de reins ont une fente de déhiscence leur permettant de s’ouvrir. Ils sont donc très différents des sporanges en coupe de Cooksonia pertoni. Ce caractère à lui seul pourrait justifier le transfert de C. caledonica dans un nouveau genre, encore à créer.
À la fin du Silurien, Cooksonia était accompagné d’une flore lilliputienne de plantes bâties selon la même organisation que lui, mais qui en différaient par des détails : sporanges poilus ou verruqueux chez Tarrantia, très allongés chez Salopella, allongés, avec aussi des tiges tordues, chez Tortilicaulis. Les bords des rivières et des plans d’eau à la fin du Silurien étaient couverts d’une végétation rase mais abondante. Le Canada et la Chine du Sud, à cette époque situés sous l’équateur, possédaient déjà des plantes plus grandes, les Zostérophyllopsides, sans doute favorisées par un climat propice (Kotyk et al., 2002).
P. 18 à 20 du livre intitulé Aux Origines des plantes sous la direction de Francis Hallé Éd. Fayard