dimanche 2 janvier 2011

Les flores du Dévonien inférieur de Philippe Gerrienne


"Au début du Dévonien, vers –400Ma, Cooksonia cède la place aux Zostérophyllopsides, plus grandes et plus robustes. Ce sont les premières plantes de la lignée des Lycophytes, comprenant les lycopodes* actuels. Zosterophyllum a de quelques centimètres à quelques décimètres de hauteur. Ses axes, dépourvus de poils, se divisent par dichotomies* égales ou inégales. Ses sporanges*réniformes (forme d’un rein) ou allongés transversalement, situés à l’extrémité de courts pédicelles, sont disposés en épis souvent compacts. Ils libèrent leurs spores par une fente de déhiscence bien marquée, faite de cellules spécialisées, divisant chaque sporange en deux valves égales. Zosterophyllum est subcosmopolite : on le connaît en Europe, aux États-Unis, en Asie, en Australie. Parmi les Zostérophyllopsides, Gosslingia a des sporanges en forme de rein dispersés le long des axes nus, ramifiés par dichotomies inégales ; Sawdonia possède des axes couverts de poils. La structure anatomique des Zostérophyllopsides comprend un système vasculaire qui consiste en un cylindre central plein, ou protostèle, circulaire ou ovale en section transversale ; les cellules du xylème (nom scientifique du bois) sont des trachéides dont la paroi annelée-réticulée est composée d’une couche interne lignifiée et d’une couche externe non lignifiée. On retrouve se type de trachéides chez les premières lycophytes.

Les Lycophytes se définissent par trois caractères principaux : la microphylle, ou feuille à une seule nervure ; un seul sporange à la face supérieure de chaque feuille spécialisée dans la sexualité, appelée feuille fertile ou sporophylle ; enfin un cylindre central, ou stèle, dont les cellules les plus anciennes sont périphériques et qui, de ce fait, est qualifié d’exarche.
Les plus anciennes, Asteroxylon, Drepanophycus et Baragwanathia, sont des pré-Lycophytes contemporaines des Zostérophyllopsides. Le Baragwanathia australien serait même beaucoup plus ancien, d’âge silurien supérieur d’après la faune marine associée – mais cet âge est controversé.

La plus ancienne Lycophyte vraie est Leclercqia, du Dévonien inférieur et moyen. Son axe principal, divisé par dichotomies égales et inégales, porte des microphylles disposées en spirale et constituées d’un segment central recourbé vers le bas et de deux segments latéraux eux-mêmes divisés en deux. Les sporophylles sont identiques aux feuilles végétatives, mais portent un sporange ovoïde sur leur face supérieure. Cette plante avait des spores toutes identiques et était donc, par définition, isosporée.
Un autre groupe extrêmement intéressant est apparu vers la moitié du Dévonien inférieur, celui du célébrissime Rhynia. Découvert dans le chert écossais de Rhynie (Kidston et Lang, 1917-1920), le genre Rhynia comportait alors deux espèces : R. gwynne-vaughanii et R. major. À l’époque, Rhynia, avec ses sporanges apparemment terminaux et ses axes à divisions simples, illustrait la morphologie des toutes premières plantes vasculaires, dont elle devint très vite l’archétype. Cependant Edwards (1980,1986) démontra que l’espèce major ne possédait pas de trachéides vraies et la transféra dans un nouveau genre, Aglaophyton. Il démontra ensuite que les sporanges de R. gwynne-vaughanii étaient subterminaux. Enfin, Kenrick et Crane (1991) montrèrent que R. gwynne-vaughanii avait des trachéides particulières, dites "de type S". Ces trachéides ont une paroi à épaississements spiralés composée de deux couches : l’interne, très fine, résiste à la décomposition ; l’externe, moins résistante, est épaisse et spongieuse. Ce type de trachéide existait aussi chez quelques rares genres dévoniens, tels Stockmansella ou Huvenia. Un caractère commun à toutes ces plantes est leur sporange, sans structure de déhiscence particulière et porté par un petit coussin de cellules banales formant un tissu nommé parenchyme. On estime aujourd’hui que ces plantes à trachéides de type S sont des plantes vasculaires très particulières, d’où leur nom de Paratrachéophytes (Gerrienne et al., 2006). Elles se sont éteintes au Dévonien moyen sans laisser de descendance connue. Exit donc le rôle de plante vasculaire archétypale joué par Rhynia, ce statut étant aujourd’hui assumé par le simplissime Cooksonia.

Les Euphyllophytes apparaissent vers le milieu du Dévonien inférieur. Ce sont des plantes à feuilles vraies et à nervures multiples, ou mégaphylle. Les plus anciennes ont des ramifications archaïques par dichotomies inégales, et les plus modernes des ramifications dues au fonctionnement de bourgeons latéraux et qualifiées de monopodiales. Elles sont caractérisées aussi par des trachéides dont les ponctuations sont dites scalariformes, car elles sont disposées en barreaux d’échelle, et par des sporanges terminaux par paires, dont chacun porte d’un seul côté une ligne de déhiscence longitudinale. À l’exception des Lycophytes, toutes les plantes vasculaires actuelles sont des Euphyllophytes.

Le genre le plus ancien est Psilophyton. C’est une plante très importante, puisqu’elle et ses proches seraient à la base de toutes les lignées modernes de plantes vasculaires, Lycophytes exceptées.
Psilophyton est d’assez grande taille – environ un mètre de hauteur –, avec un axe principal plutôt robuste (Banks et al., 1975), lisse et couvert de poils. Les axes latéraux végétatifs ou fertiles seraient homologues des feuilles des plantes actuelles. Les axes fertiles se terminent par des grappes de paires de sporanges allongés, fusiformes, typiquement enroulés l’un autour de l’autre. Les axes de Psilophyton ont une protostèle massive, composée de trachéides de types P (Kenrick et Crane, 1997) et qualifiée de centrarche, les trachéides les plus anciennes étant situées au centre.
Le Dévonien inférieur a livré d’autres plantes, dont la position systématique reste incertaine. Ces genres, ajoutés à ceux dont les affinités sont mieux cernées, composent un paysage éodévonien beaucoup plus varié et chamarré que ce texte ne le laisse penser.
Pour se reproduire, toutes ces plantes dispersaient leurs spores. Comme chez les fougères modernes, leur fécondation était donc dépendante de la présence d’eau pour permettre au gamète mâle flagellé de nager vers le gamète femelle. C’est sans doute pour cette raison que beaucoup de ces plantes étaient confinées aux zones humides. "

Aux origines des plantes Sous la direction de Francis Hallé chez Fayard (p. 20 à 26)


* Lycopodes : plante archaïque vasculaire sans graines, à la tige grêle, à feuilles étroites et allongées, voisine des fougères, dont les spores forment une poudre très inflammable
Synonyme: pied-de-loup
de nombreuses espèces de lycopodes sont protégées • la poudre de lycopode était utilisée en pyrotechnie


* dichotomie : ramification par séparations successives en deux branches
les dichotomies du gui

*Sporange : petit sac contenant un grand nombre de spores qui seront dispersées à la maturité de la plante
des sporanges disposés en bouquets

Spore : cellule ou ensemble de cellules qui participent à la reproduction (de certains végétaux)
les minuscules spores des fougères

subcosmopolite : adjectif singulier invariant en genre (botanique ou zoologie) se dit d'une espèce représentée dans de nombreuses parties du monde, mais non dans toutes.