vendredi 25 septembre 2009

Walden ou la vie dans les bois

Par Henri David Thoreau

" ... Lorsque autrefois je regardais autour de moi en quête de ce que je pourrais bien faire pour vivre, ayant fraîche encore à la mémoire pour me reprocher mon ingénuité, telle expérience malheureuse tentée sur les désirs de certains amis, je pensai souvent et sérieusement à cueillir des myrtils ; cela, sûrement j’étais capable de le faire, et les petits profits que j’en tirerais pouvaient me suffire ; car mon plus grand talent a été de me contenter de peu. Tandis que sans hésiter mes amis entraient dans le commerce ou embrassaient des professions, je considérai cette occupation comme valant au moins autant que la leur ; courir les montagnes tout l’été pour cueillir les baies qui se trouvaient sur ma route, en disposer ensuite, sans souci ; de la sorte, garder les troupeaux d’Amète. Je rêvai aussi de récolter les herbes sauvages, ou de porter des verdures persistantes à ceux des villageois qui aimaient se voir rappeler les bois, même à la ville. Mais j’ai depuis appris que le commerce est la malédiction de tout ce à quoi il touche ; et que, commerceriez-vous de messages du ciel, l’entière malédiction du commerce s’attacherait à l’affaire.
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Pour moi, je trouvai que la profession de journalier était la plus indépendante de toutes, en ceci principalement qu’elle ne réclamait que trente ou quarante jours de l’année pour vous faire vivre. La journée du journalier prend fin avec le coucher du soleil, et il est alors libre de se consacrer à telle occupation de son choix, indépendante de son labeur ; tandis que son employeur, qui spécule d’un mois sur l’autre, ne connaît pas de répit d’un bout à l’autre de l’an.
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Je lis dans le Gulistan, ou Jardin des Roses, du sheik Saadi de Shiraz, ceci : « On posa cette question à un sage, disant : « Des nombreux arbres célèbres que le Dieu très haut a créés altiers et porteurs d’ombre, on n’en appelle aucun azad, ou libre, excepté le cyprès, qui ne porte pas de fruits ; quel mystère est ici renfermé ? » Il répondit : « Chacun d’eux a son juste produit, et sa saison désignée, en la durée desquels il est frais et fleuri, et en leur absence sec et flétri ; ni à l’un ni à l’autre de ces états n’est le cyprès exposé, toujours fleurissant qu’il est ; et de cette nature sont les azads, ou indépendants en matière de religion. Ne fixe pas ton coeur sur ce qui est transitoire ; car le Dijlah, ou Tigre, continuera de couler à travers Badgad que la race des califes sera éteinte : si ta main est abondante, sois généreux comme le dattier ; mais si elle n’a rien à donner, sois un azad, ou homme libre, comme le cyprès.»"

http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article1267