jeudi 30 avril 2009

Un poème du recueil Les fleurs du mal de Baudelaire

Le Soleil
Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
Les persiennes, abri des sécrètes luxures,
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
Je vais m'exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.
Ce père nourricier, ennemi des chloroses,
Eveille dans les champs les vers comme les roses;
II fait s'évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches le miel.
C'est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
Et commande aux moissons de croître et de mûrir
Dans le coeur immortel qui toujours veut fleurir!
Quand, ainsi qu'un poète, il descend dans les villes,
II ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.
— Charles Baudelaire
The Sun
Along the old street on whose cottages are hung
The slatted shutters which hide secret lecheries,
When the cruel sun strikes with increased blows
The city, the country, the roofs, and the wheat fields,
I go alone to try my fanciful fencing,
Scenting in every corner the chance of a rhyme,
Stumbling over words as over paving stones,
Colliding at times with lines dreamed of long ago.
This foster-father, enemy of chlorosis,
Makes verses bloom in the fields like roses;
He makes cares evaporate toward heaven,
And fills with honey hives and brains alike.
He rejuvenates those who go on crutches
And gives them the sweetness and gaiety of girls,
And commands crops to flourish and ripen
In those immortal hearts which ever wish to bloom!
When, like a poet, he goes down into cities,
He ennobles the fate of the lowliest things
And enters like a king, without servants or noise,
All the hospitals and all the castles.
— William Aggeler, The Flowers of Evil (Fresno, CA: Academy Library Guild, 1954

http://fleursdumal.org/poem/101